Depuis quelques années, un phénomène du nom de « Groundhopping » ne cesse d’accroître dans le monde du football. A l’instar d’un touriste lambda à la visite de monuments historiques, le Groundhopper, quant à lui, a pour but de visiter un maximum de stades à travers le monde et ainsi comparer les différentes ferveurs.
Le Groundhopping est la passion ultime de Killian Bertrand, 24 ans.
Au terme d’une année 2020 compliquée pour les supporters de football – interdits de stade pour cause de crise sanitaire – Killian revient malgré tout sur ses multiples expériences, son amour pour les tribunes et nous apporte aussi sa vision argumentée du supportérisme en France.
Grâce à son expérience fabuleuse, notre groundhopper du jour vous plonge dans l’atmosphère si particulière des enceintes de football : chants incessants, tribune tremblante, odeur de pelouse et de fumigènes garantis … nous rappelant à quel point ça manque !

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Moi c’est Killian Bertrand, j’ai 24 ans. Franco-néerlandais, je suis originaire d’Alès, dans le Gard. Je travaille depuis peu dans l’industrie du Licensing sportif à Paris – chez IMG Licencing – sur des comptes tels que la Fédération Française de Rugby ou les 24 Heures du Mans. Et j’ai, depuis quelques temps, la passion du Groundhopping dans le sang.
Te souviens-tu comment t’es venue cette passion folle pour le foot ?
Je suis né dans une famille qui aime profondément le football et l’Olympique de Marseille, dont néanmoins ce n’est pas la passion principale. Au milieu des années 2000, j’étais fasciné par le Liverpool de Rafa Benitez et par le fantasque mais très talentueux français sur le front de l’attaque, un certain Djibril Cissé. À l’arrivée de ce dernier à l’OM, en 2006, mon père a décidé de m’emmener au Stade Vélodrome pour mon véritable premier match de foot en tribunes, un Marseille – Saint-Etienne juste avant le Noël de mes 10 ans. C’est également à partir de ce moment-là que je suis aussi devenu un vrai fada de l’OM. Un souvenir inoubliable pour moi.
« Les groundhoppers sont des collectionneurs de stades »
On entend de plus en parler du Groundhopping, tu pourrais nous expliquer en quoi cela consiste concrètement ?
Le Groundhopping, c’est une pratique qui consiste à parcourir ton pays puis le monde à la découverte des stades de football – la plupart du temps dans des divisions inférieures. On peut considérer les groundhoppers comme des collectionneurs de stade, en quelques sortes. Mais plus que les stades, ce qu’ils cherchent à découvrir, c’est la culture foot d’un club voire même d’une ville, d’une région : la façon dont les gens vont au stade et vivent le jour de la rencontre.
Cette pratique assez célèbre en Angleterre et en Allemagne est, avant tout, la conséquence de la création de la Premier League en 1992. Les prix des places en Angleterre ont drastiquement augmenté à partir de ce tournant et une partie des fans anglais s’est retrouvée exclue et a commencé à se lasser des ambiances amorphes des stades de l’élite. Aller voir du foot dans des stades plus champêtres et avec une ambiance traditionnelle leur a redonné goût au supportérisme.
Pour ta part, à quel moment as-tu souhaité devenir Groundhopper et cela s’est matérialisé de quelle manière ?
Pour ma part, je rêve de football anglais depuis l’adolescence, durant laquelle j’enchaînais les matches devant CANAL+. C’était donc un objectif de me rendre en Angleterre et je me suis de plus en plus renseigné sur le moyen d’obtenir des places. C’est de la sorte que j’ai croisé la route du Groundhopping. Au final, j’étais un groundhopper sans le savoir, et c’est finalement le cas de beaucoup de personnes : à son échelle, tout le monde peut être un groundhopper. Lorsque tu pars à la découverte d’un stade inconnu et d’une région qui ne t’es pas familière, tu es un groundhopper en fin de compte. C’est aussi simple que ça.
Peux-tu expliquer ton organisation typique, s’il en existe une. Comment choisis-tu les matchs ? Combien de temps mets-tu à prévoir les rencontres auxquelles tu vas assister ?
Lors de ces deux premières années de groundhopping, je me suis majoritairement concentré sur les grands championnats européens – afin de cocher les classiques et les stades mythiques lors d’une première salve de voyages.
J’ai quelques règles de base auxquelles je me tiens pour chaque week-end Groundhopping. La première, je ne rachète pas de places sur le marché noir à un prix plus élevé que celui payé pas les supporters locaux. Je viens de finir mes études et je fais encore attention à mes dépenses mais surtout, être groundhopper, ce n’est pas être un touriste du football. Faire du Groundhopping, c’est se fondre dans la culture locale le temps d’un match. Hors de question ainsi de payer un prix deux ou trois fois supérieur à celui proposé aux supporters locaux.
Par conséquent, tout est question d’opportunité. J’ai plusieurs cartes de membres dans des clubs anglais qui me permettent de postuler aux ventes de billets. Pour d’autres écuries européennes, je compte sur les ventes « grand public » des clubs ou sur la solidarité de groundhoppers locaux pour m’aider à organiser mon week-end. J’ai moi-même eu l’occasion plusieurs fois d’aider des fans étrangers qui souhaitaient découvrir Marseille et le Vélodrome.
Faire du Groundhopping, c’est se fondre dans la culture locale le temps d’un match. Hors de question alors de payer un prix deux ou trois fois supérieur à celui proposé aux supporters locaux. »
Dans combien de stades as-tu été ? Parmi ces innombrables, lequel est pour toi LE plus impressionnant ?
A ce jour, j’ai découvert 27 stades, dans 7 pays différents. C’est relativement peu si l’on compare à d’autres groundhoppers français notoires. Mais je suis encore au début de mon aventure et je suis loin du terme de cette dernière.
San Siro est sûrement le stade qui m’a le plus impressionné lors d’un AC Milan – Inter de mars 2019. Situé à Milan, ce stade Giuseppe Meazza alias « San Siro » est un mythe du football européen. D’autant plus qu’il est proche de la destruction.
(Grâce à ses tribunes extrêmement proches de la pelouse, une forte inclinaison des gradins et un large toit, l’enceinte italienne bénéficie effectivement d’une atmosphère qui en fait l’un des stades les plus légendaires du monde. Il faut également préciser que les deux équipes résidentes – l’AC Milan et l’Inter de Milan -ont eu respectivement leurs instants de gloire dans le siècle précédent. Des grands noms tels que Andriy Shevchenko, David Beckham, Zlatan Ibrahimovic, Samuel Eto’o, Paolo Maldini, Ronaldinho, Adriano, Ronaldo, et bien d’autres, ont fait de ce stade antre spectaculaire. ndlr)
Vous l’aurez compris, ce stade était donc une étape obligatoire de mon périple. L’architecture du stade avec ces escaliers en spirales est assez folle et assister au Derby della Madonnina dans ce temple du football restera un immense souvenir pour moi.

Les ambiances de stade qui t’ont le plus marqué ?
Je pourrais facilement te citer celle d’un Ajax – Feyenoord à la Johan Cruyff Arena d’Amsterdam ou encore celle d’un Stade Bollaert-Delelis de Lens plein à craquer en Ligue 2.
Cependant, j’ai eu la chance d’aller voir quelques matchs en Chine et l’ambiance là-bas est étonnement très particulière. La culture du supportérisme chez eux est majoritairement calquée et pompée sur l’Europe. Les banderoles ressemblent fortement à celles des clubs anglais ou italiens et sont même écrites en anglais. L’ambiance y est finalement très bonne, mais elle est très robotique : tout est millimétré et les supporters agitent leurs drapeaux selon une rythmique très précise. Cela m’a fortement marqué et c’était une expérience assez folle à vivre.
« En chine l’ambiance est particulière. Très bonne, mais très robotique et calquée sur l’europe »
Tu as forcément une anecdote particulière à raconter
Une anecdote assez récente, lors d’un Manchester United – Liverpool auquel j’ai assisté seul, ce qui est assez rare pour être souligné car je trouve toujours un pote pour m’accompagner dans mes aventures.
Sur le but de Marcus Rashford, qui permet à United de mener à la 36ème minute, mon voisin m’assène un énorme coup de coude dans le nez au moment de célébrer le but et de m’enlacer avec ses potes. Ce coup de coude me fait littéralement pleurer de douleur pendant quelques secondes, au point où je me suis demandé s’il ne m’avait pas cassé le nez. Lorsqu’il se rend compte de sa bourde, ce supporter mancunien ne cesse de s’excuser pendant 5 bonnes minutes. Une fois la douleur passée, je lui dis que je suis également venu jusqu’ici pour pouvoir raconter ce genre de souvenir et que je ne lui en veut pas du tout. Rashford sera donc pour moi toujours lié à une douleur vive .. un peu comme pour les supporters du PSG au final. (rires)
Quel est le stade, pas encore visité, qui t’attire le plus actuellement ?
En tant que supporter marseillais, je garde évidemment un merveilleux souvenir du passage de Marcelo Bielsa (entraineur argentin, ndlr) à l’OM. Me rendre à Leeds (son club actuel, ndlr) et assister à un match à Elland Road était également un objectif de ma fin de saison 2019-2020.
Maintenant que le club est en Premier League, il sera plus difficile de se procurer des places, et surtout je ne suis pas certain d’y vivre la même atmosphère que lorsque le club était en Championship (deuxième division anglaise, ndlr).
Visiter les stades de divisions inférieures t’attire davantage ?
On va dire que c’est l’un de mes principaux objectifs dès que la pandémie mondiale sera derrière nous : visiter davantage de stades de Championship et de League One (troisième division anglais, ndlr), et ainsi découvrir une toute autre ambiance que celles des stades de Premier League.
Au cours de cette crise sanitaire tu as décidé, toi, le “French Tifosi” de rédiger un livre : « 2018-2020 LE DEBUT DE L’AVENTURE GROUNDHOPPING« . Comment t’es venue cette idée et que penses-tu du rendu final ?
L’ouvrage est disponible juste ici
Cette idée date de ma première saison en tant que groundhopper, mais c’est vrai que le confinement et l’arrêt total du football pour les supporters a quelque peu accéléré la conception de ce bouquin. Au départ, c’est un livre souvenir très personnel. Chaque rencontre, chaque frisson, chaque anecdote propre à chaque match demeure une histoire à part entière. Il me paraissait primordial d’attiser chacune de ces pépites, pour ne pas laisser l’accumulation des week-ends prendre le dessus sur la singularité de chaque périple. Alors à la fin de chaque week-end de groundhopping, j’ai décidé d’écrire.
Cela donne un recueil de 33 matches dans des endroits et des stades très différents, qui me permet – ainsi qu’à ceux qui m’ont accompagné – de revivre quelque peu chaque week-end de groundhopping.
Il me paraissait primordial d’attiser chacune de ces pépites, pour ne pas laisser l’accumulation des week-ends prendre le dessus sur la singularité de chaque périple. »
Un Tome 2 est envisagée ?
Oui à coup sûr, dès que les stades seront accessibles je reprendrai l’écriture.
- Tu as également réalisé ton mémoire de fin d’études sur le « supportérisme » et les stades. Que retiens-tu principalement de cette expérience et quel regard portes-tu sur le monde des tribunes en France ?
J’ai terminé mes études par un double diplôme en management du sport. Je travaille aussi dans le business du sport, ce qui est souvent en contradiction avec le supportérisme et les conflits qui existent entre les instances et les supporters.
Avec ce mémoire, qui s’intéresse notamment à la gentrification des tribunes européennes, j’ai tenté de prendre le contre-pied des à priori pour associer mon métier et mon expérience dans les stades. La culture foot en France est beaucoup moins développée que ce qu’elle peut l’être en Angleterre ou en Italie par exemple, mais le monde des tribunes en France est passionnant. Selon moi, nous devons arrêter de souffrir de la comparaison avec nos voisins. Les tribunes et les supporters français sont à la hauteur. Le problème est ailleurs. Les clubs et la Ligue sont bien trop souvent à des années lumières de leurs confrères européens.
Nous devons arrêter de souffrir de la comparaison avec nos voisins européens. Les tribunes et les supporters français sont à la hauteur. Le problème est ailleurs. »

Justement, comment vois-tu le futur des supporters en France et plus particulièrement des ultras avec la forte répression qu’ils subissent ?
J’ai peur que la période actuelle, marquée par la crise sanitaire et l’absence de supporters dans les stades, ne serve davantage encore cette répression. Au final, et malgré les problématiques économiques, le « football circus » continue de tourner sans nous et j’ai bien peur que cela ne fasse qu’aider les instances et les politiques répressives à l’encontre des supporters et des ultras. Je n’ai clairement pas envie que le Vélodrome devienne comme la plupart des stades anglais où les spectateurs passifs seront privilégiés. C’est injuste pour les supporters traditionnels qui font le charme de ce sport.
A présent, quels sont tes futurs projets autour du football et du Groundhopping ?
J’ai une petite idée en tête pour la prochaine Coupe de France : je souhaite aller voir un club proche de chez moi dès le 1er tour puis assister à tous les matches de l’équipe gagnante et ce jusqu’au Stade de France et la finale. Une sorte de bâton de Bourbotte version groundhopping.
A l’étranger, j’ai déjà coché Naples, la Turquie, la Grèce et la phase finale de Ligue des Nations à Milan et à Turin comme objectifs principaux.
Pour finir, un mot pour ceux qui se souhaiteraient se lancer activement dans le Groundhopping ?
Il n’y a pas forcément de bonne façon de se lancer dans le Groundhopping, c’est ce qui en fait d’ailleurs tout son charme. C’est à chacun de construire son aventure et les stades qu’ils visitent en fonction de sa sensibilité footballistique et des ambiances qui te font le plus rêver. Et puis surtout, il n’y a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour découvrir. Cibler ne serait-ce que les clubs des divisions inférieures de ta région est déjà un bel objectif ! L’outil indispensable demeure l’application Futbology (anciennement « Groundhopper ») pour lister tous tes matches ou découvrir les affiches à proximité de toi.
C’est la fin de cette interview ! Merci à Killian d’avoir accepté notre invitation. Nous lui souhaitons très bonne continuation. Découvrez, ci-dessous des clichés d’exceptions à retrouver sur son Instagram.