C’était l’événement de ce lundi 16 mai 2022, pour la première fois, Rani Assaf, président controversé de Nîmes Olympique était invité de l’émission Bonsoir le Gard, en direct, sur le média local Objectif Gard. L’actionnaire majoritaire du club a notamment fait face à Nicolas Rainville, adjoint aux sports de la Ville et Guillaume Navarro, porte-parole des GN91. Décryptage des propos tenus par Rani Assaf.
L’objectif est de s’attarder sur les affirmations, les prises de positions, du président nîmois, à froid. Lors d’un direct, il est difficile de réagir sur le moment, sans oublier toutes les contraintes liées à la configuration d’un plateau d’une émission diffusée à la télévision, ou sur internet, comme c’est le cas de Bonsoir le Gard.
La question des abonnements arrive rapidement sur la table par l’intermédiaire de Nicolas Rainville qui interpelle Rani Assaf sur une possible réouverture future du Pesage Est, tribune populaire des Costières, ou d’une tribune de ce type, dans le futur stade. “ Les supporters, c’est quelque chose de vital pour un club”, répond le président de NO, en précisant que la saison prochaine sera difficile sportivement avec les quatre descentes. Selon le président, un supporter est là pour soutenir le club, défendant ses intérêts. Il indique même que tout supporter se reconnaissant dans cette définition est le bienvenu.
Première contradiction car jusqu’à preuve du contraire, fermer une tribune pour quelques fumigènes, et un groupe de supporters de quelques centaines de personnes, qui représente une minorité de la tribune, n’est pas vraiment une marque de bienvenue. Ensuite, il évoque les intérêts du club. Mais, qui est plus disposée à s’exprimer sur les intérêts du club qu’un supporter passionné, ultra ou lambda ? Ce n’est certainement pas aux dirigeants du football, qui plus est dans sa version moderne, de désigner les bons ou les mauvais supporters. De plus, les supporters (enfants, jeunes, personnes âgées) violentés en décembre 2019 un soir de OM-NO, ont longtemps attendu un soutien de la part du club, en vain.
Rapidement, la réponse de Rani Assaf dévie sur le stade provisoire, l’avancée des travaux qui ont commencé. Rien d’étonnant pour celui qui est obnubilé par son projet de nouveau stade, mais ce sujet est flou et lointain pour les milliers de supporters qui aujourd’hui veulent simplement renouer avec les joies du stade.
De son côté, Nicolas Rainville est clair : “il faut rouvrir cette tribune.” Rani Assaf est alors questionné par le journaliste Corentin Corger de manière précise sur une réouverture prochaine. Le président répond à côté. “On y réfléchit…alors l’objectif c’était donc de dire que le stade provisoire on déménage fin décembre, je ne sais pas si c’est faisable. On va tout faire pour », déclare-t-il. Encore un détournement de la réponse vers son projet. Puis, il précise qu’il n’y aura plus d’abonnement. Un choc pour tout supporter habitué des tribunes. Comment fidéliser un public sans abonnement, gage d’une affluence correcte à chaque rencontre. En début de saison, il avait justifié cette décision en raison de l’incertitude liée à la crise sanitaire. Aujourd’hui, on apprend que c’était un choix délibéré de la part du club. Ou plutôt de Rani Assaf et sa vision solitaire et très verticale du pouvoir.
Dans ce cadre précis, le président fait usage de la stratégie du choc, théorisée par Naomi Klein. Elle soutient qu’il faut profiter d’un choc auquel est soumis toute une société pour mettre en oeuvre un plan de réformes drastiques en très peu de temps, et de profiter de l’absence de réactions de la société à cause de son état de choc, ici le choc étant évidemment la crise sanitaire, période durant laquelle les clubs ont vécu sans public.
Toutefois, pour compenser la perte des abonnements, Rani Assaf évoque une carte de membre, dont les contours demeurent hasardeux.
Le face à face
Après un échange cordial avec un élu, Rani Assaf est face à Guillaume Navarro, porte-parole des Gladiators Nîmes 1991, groupe ultra, dont le 30e anniversaire aura été grandement gâché cette saison. Alors qu’il fait un constat de la situation actuelle du club en invoquant le stade vide, la situation sportive moyenne, et le centre de formation vidé, Guillaume Navarro est coupé par le président. Ce dernier rétorque qu’il devrait être content que le stade sonne creux, avec une pointe d’ironie, puisque son groupe aurait appelé au boycott toute la saison. Difficile d’appeler au boycott quand sa tribune est fermée. De plus, il y a quelques semaines, le président des GN91 expliquait sur Objectif Gard que le groupe attendait qu’une seule chose : retourner au stade. Dans la foulée, il est reproché aux supporters d’avoir des “goûts de luxe” concernant le sportif. Une nouvelle fois, le président-actionnaire-directeur sportif déplace le problème puisque le sportif n’est pas du tout au cœur des points de divergence. Si Nîmes avait atteint les playoffs d’accession à la Ligue 1, le problème du stade vide serait toujours là.
Soyons sérieux, comment un club qui sort de trois saisons de Ligue 1 et d’un an et demi de crise sanitaire peut réaliser sa pire saison de son histoire au niveau de l’affluence ? Comment monsieur Assaf ?
En raison d’un an d’une politique destructrice pour les supporters qui ont déserté le stade en voyant les prix démesurés proposés, de l’absence d’abonnement, d’une communication inexistante ? Non, pour Rani Assaf il faut pointer du doigt la désinformation autour du club, alimentée par les groupes de supporters. Une mauvaise foi grotesque, synonyme de déresponsabilisation.
Rani Assaf se félicite des résultats sportifs quand on lui indique qu’on a l’impression qu’il ne se passe rien autour du club qui a été vidé de son âme. Si le résultat était la seule chose qui comptait dans le foot, les matchs de divisions inférieures en Angleterre ou en Allemagne ne se joueraient pas à guichets fermés dans des ambiances magnifiques. Le fan n’est pas là pour le résultat avant tout. Le consommateur, peut-être. Et c’est peut-être lui que Rani Assaf cherche à attirer.
Le sujet tendancieux, tellement mineur, mais au cœur de la discorde est mis sur la table. Face au problème des fumigènes, le président fait appel à des faits réels de manière structurée et claire afin de prendre à défaut son vis-à-vis. Ainsi, les GN n’ont pas respecté un accord passé avec la direction selon elle. Une fois que que cela a été dit, la discussion s’étale sur ce sujet qui pèse très peu face à l’ampleur du désarroi du public nîmois face à la politique menée depuis le début de saison.
En effet, nulle part ailleurs, un club a fermé, pendant une majeure partie de la saison, une tribune car des fumigènes ont été allumés. Priver arbitrairement des milliers gens de se rendre au stade, telle est la vision de la démocratie, elle qui est si chère à Rani Assaf, comme il le mentionne à plusieurs reprises pendant l’échange.
Dans la continuité, il évoque le respect de l’état de droit et un incident survenu à Bordeaux, ce qui lui permet d’imposer la thématique du débat, et surtout, sous quelle angle cette thématique sera abordée, faisant le maximum appel aux émotions du récepteur, notamment le grand public pour qui la question de l’utilisation des fumigènes est secondaire et peut même être perçue comme dangereuse. « Lorsque les émotions submergent le débat, cela augure mal de sa qualité. Trop d’émotions tuent la raison » souligne le mathématicien David Chavalarias dans son livre TOXIC DATA, comment les réseaux manipulent nos opinions
“On est la risée du monde entier, j’ai été il y a quelques semaines voir un match en Turquie. C’était d’ailleurs le derby d’Istanbul, pas un incident, pas un fumigène dans le stade” s’insurge l’ancien numéro deux de Free. Il fallait oser car c’est assez audacieux et culotté de prendre comme modèle la Turquie, réputée pour ses ambiances bouillantes et ses groupes de supporters parfois très violents. On se souvient des incidents lors de Lyon-Besiktas notamment. Ensuite, l’exemple qu’il prend est mauvais et factuellement faux puisqu’avec une seule vidéo sur le réseau social Twitter on aperçoit deux fumigènes à l’intérieur du stade, lors du derby d’Istanbul entre Galatasaray et Fenerbahçe, évoqué pendant l’émission.
Rani Assaf précise qu’il souhaite juste qu’on respecte la loi, qu’on peut être dans l’opposition tout en respectant la loi. Que dire alors aux gens sur les réseaux sociaux qui ne peuvent interagir avec le club, sur décision du président. Sont-ils hors la loi ? Une certaine forme de censure est donc acceptée, en prévision d’une possible interpellation de la part de mécontents. Mais, sans opposition, il n’y a pas de démocratie.
Cette censure s’inscrit dans la suite logique de l’autoritarisme dont fait preuve le président dans sa gestion depuis de nombreux mois. Elle fait suite à la fermeture de la tribune populaire, elle aussi en prévention et en désignation directe des ultras.
C’est comme si, dans le monde social, un gouvernement interdisait toute manifestation, entravant un droit fondamental, sous prétexte qu’elle pourrait engendrer des violences car c’est arrivé par le passé.
Alors que le débat se cristallise sur les fumigènes, Guillaume Navarro explique “ c’est dommage parce que ce n’est pas ce qu’attendent les gens, c’est une histoire entre nous.” Et c’est vrai, mais son interlocuteur insiste, “ c’est la base du problème…abandonnez le {ce détail} ».
Quand on évoque ce qu’il se passe ailleurs, en précisant que peu importe les actions menées par les ultras ils sont en tribune, le président Rani Assaf fuit cette réalité, qu’il ne peut contredire. “ Il y avait un débat sur une chaîne, c’était est-ce que les ultras ont encore leur place dans le stade”, réagit-t-il, déplaçant encore la discussion sur son terrain.

Crédit : Objectif Gard.
Le match de Dunkerque comme symbole
Alors que le club a été très médiocre cette saison aux Costières, finissant 17e équipe au classement à domicile, ce qui est compréhensible quand on joue sans soutien, Rani Assaf ne voit pas le problème de cette façon et préfère s’en prendre aux cinquante supporters qui ont montré leur mécontentement lors du match face à Dunkerque. Il en parle de manière virulente, mettant sur leur dos la défaite subie ce soir-là.
Mais, la discussion se déplace petit à petit, à l’initiative de Rani Assaf. Il évoque les insultes en présence de sa fille, les tags devant chez lui à l’encontre de sa femme et accuse un ultra d’être auteur des faits, demandant alors à son interlocuteur de condamner. La séquence est frappante car on passe en revue en trente secondes des situations très différentes grâce à des raccourcis.
Autre scène hallucinante quand on lui parle de l’exposition sur Jean-Bouin dont le relais par le club fut inexistant, NO n’a pas fait un travail de culture club en envoyant par exemple des joueurs ou les jeunes du centre à la découverte du glorieux passé, il répond qu’il a été prévenu une semaine avant. Il joue aussi encore sur les affects en disant qu’il garde ses enfants une semaine sur deux.
Enfin bref, tout au long de l’échange, Rani Assaf fait en sorte que la discussion s’opère selon ses envies et ses visions. Il a une posture d’attaque, en attente de la réaction de son opposant. Lorsqu’il était questionné sur un sujet où il était en difficulté, il trouvait toujours un échappatoire en répondant à côté, ou en répondant à la question par une autre question. Grâce à sa maîtrise des sujets et des techniques de communication, il pouvait se permettre d’émettre aucune condition en amont de l’émission, ce que le présentateur n’a pas manqué de souligner au cours de cette dernière.
Depuis les écrits de Pierre Bourdieu concernant la télévision, nous savons à quel point il est difficile de déjouer le conformisme inhérent au plateau d’une émission entre les différentes coupures, le temps compté, et les aléas du direct impossibles à anticiper. “ Un des enjeux des luttes politiques, à l’échelle des échanges quotidiens ou à l’échelle globale, est la capacité d’imposer des principes de vision du monde, des lunettes telles que les gens voient le monde selon certaines divisions (les jeunes et les vieux, les étrangers et les Français)” écrivait le sociologue dans son ouvrage Sur la télévision. Diviser pour mieux régner, ici en marginalisant les ultras face à la majorité silencieuse, tel est le principe.
