A moins de trois mois de l’élection présidentielle, la gauche française est dans un état déplorable pour l’ensemble des acteurs de ce camp politique, ainsi que pour les militants. Dans une optique électoraliste, la question de l’union de la gauche, aujourd’hui divisée, revient sans cesse. Décryptage.
Pour l’heure, on compte près de huit candidats déclarés qui se disent appartenir à la gauche, même si on ne sait pas si tous réussiront à réunir les 500 parrainages à temps : Anne Hidalgo (PS), Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (LFI), Arnaud Montebourg (ex-PS), ce dernier est cependant susceptible de se retirer et se ranger derrière Christiane Taubira, Fabien Roussel (PC), Nathalie Arthaud (LO), Philippe Poutou (NPA), Anasse Kazib (RP). Sans oublier donc Christiane Taubira, l’ancienne garde des Sceaux semble proche d’annoncer sa candidature à l’élection, à travers la primaire populaire. D’après les informations de 20 minutes et du Progrès, elle mettra fin au suspens demain, ce samedi 15 janvier 2022, à Lyon. Une candidature de plus pour une personnalité politique qui demande publiquement l’union depuis plusieurs semaines.

La primaire populaire est une initiative émanant de la société civile qui invite tous les candidats de gauche en campagne à se soumettre à une primaire dont l’objectif serait d’aboutir à un candidat unique, qui porte un programme commun.
Pour l’instant, hormis Christiane Taubira, les autres candidats ont refusé de « jouer le jeu ».
Alors qu’elle était contre une primaire, Anne Hidalgo a fait part en décembre de son envie de mettre en place une primaire synonyme de rassemblement de la gauche. Tout comme Arnaud Montebourg, dont la campagne n’a jamais vraiment décollé. Le revirement de position de la maire de Paris révèle un constat d’échec criant. Comment peut-elle annoncer le matin qu’elle ne participera pas à une primaire, qu’elle compte aller jusqu’au bout, pour finalement énoncer l’inverse, le soir-même. Cela n’a pas de sens. Elle qui espérait recevoir une réponse positive de Jadot, s’est faite une raison. Sa campagne, chaotique et incertaine, semble relancée.
Pourquoi refuser l’union ?
Beaucoup réclament l’union de la gauche comme si une simple fusion des candidats aboutirait forcément à un résultat probant au niveau électoral. Alors que la force du système démocratique idéal réside dans le débat d’idées, la confrontation de propositions. Ainsi, parler de la possibilité de s’unir sans aucune base programmatique, à seulement trois mois du 1er tour paraît utopique. Aujourd’hui, le Parti Socialiste paye toujours le quinquennat qualifié comme celui de la « trahison » de François Hollande. Les candidats qui s’inscrivent dans un programme de rupture avec le système économique actuel et l’idéologie dominante ne souhaitent pas s’allier au PS, parti qui entretient un certain flou.
Depuis la défaite de Jospin au 1er tour en 2002, le PS n’a pas véritablement clarifié sa ligne. Il restait dans le flou. Il n’y était pas incité car il conservait sa position hégémonique à gauche notamment grâce aux élections locales
Frédérique Sawicki, chercheur en science politique et spécialiste du PS.
De part son excellent score en 2017, Jean-Luc Mélenchon représente la force de gauche la plus puissante. Il est aujourd’hui, à gauche, le mieux placé dans les sondages. Selon l’insoumis, il est « temps d’arrêter d’évoquer une union qui n’aura pas lieu ». Mélenchon avance des propositions phares de son programme comme la retraite à 60 ans, l’augmentation du smic à 1 400 euros net, la planification écologique, ces dernières qui n’ont pas la faveur d’autres forces politiques de son camp. C’est sur cette incompatibilité que les Insoumis se basent pour refuser l’union. Ils estiment que les militants, que ce soit de la FI, ou de gauche dans sa pluralité, ne veulent pas une simple addition sans programme de fond.
On peut reprocher beaucoup d’aspects à Jean-Luc Mélenchon, à certaines de ses sorties, au fait qu’il n’ait pas réussi à surfer sur sa position centrale, à gauche, qu’il occupait en 2017. Toutefois, concernant le programme, lui en a un. Il peaufine ce dernier depuis plusieurs années, et il ne veut pas repartir à zéro, en janvier 2022.
Cela ne sert à rien d’aller d’un endroit à l’autre en pleurnichant , soit disant il faut qu’on soit unie, sinon on a perdu. Non, ce n’est pas vrai ! C’est à nous de convaincre en faisant le travail nécessaire sur le terrain. Ensuite le jeu démocratique tranchera”
Jean-Luc Mélenchon, candidat Insoumis à la présidentielle
Pour arriver au 2e tour, celui qui a lancé le parlement de l’union populaire où l’on peut trouver par exemple à sa tête Aurélie Trouvé, ancienne porte-parole d’Attac, Bruno Gaccio, ancien auteur des Guignols de l’info, ou encore la philosophe Barbara Stiegler, compte sur un “trou de souris” dans lequel il compte s’engouffrer. Sa stratégie est dirigée vers les classes populaires, qui désertent les urnes. LFI estime que si elles se déplacent, Mélenchon sera au Second tour.
De son côté, le candidat écologiste Yannick Jadot ne souhaite pas se relancer dans le combat intense d’une primaire,
Une primaire à quatre mois de l’élection, ce n’est pas sérieux”
confie Yannick Jadot. A noter que la primaire des Républicains, élisant Valérie Pécresse comme candidate, a eu lieu début décembre 2021.
Le problème de la gauche c’est qu’elle est complètement discréditée parce qu’à chaque fois qu’elle a été au pouvoir, elle a trahi. Elle n’a plus la confiance de la population. On ne veut pas discuter de quel candidat unique on veut, on veut discuter du fond, quelle gauche on veut reconstruire ?”
Philippe Poutou, candidat du NPA, qui se présente pour la troisième fois.
L’absence d’un programme commun
On ne peut pas parler de candidat unique, sans programme commun. Cela paraît évident. Pourtant, à chaque fois qu’on parle d’union, il est toujours question de la personnalité qui va l’incarner, ce qui s’inscrit dans la personnalisation à outrance de la vie politique, notamment sous la Ve République, mais jamais, ou presque, la question d’un programme solide et commun à toutes les disparités du camp politique progressiste n’est abordée. Car oui, entre les différentes luttes modernes, et les divergences qui vont du centre gauche à la “gauche de gauche” comme l’appelait le sociologue Pierre Bourdieu, la question programmatique est centrale. C’est même la base de l’union.
La victoire de Mitterrand en 1981 demeure un événement majeur dans la conscience collective du Parti Socialiste, mais aussi dans l’héritage de l’ensemble de la gauche. D’ailleurs, cet exemple est souvent mis en avant lorsqu’on veut faire accepter l’idée que l’union serait la meilleure solution.

Mais, il existe une grande différence. Il ne faut pas oublier que le temps politique est long. Ainsi, la victoire de Mitterrand a commencé dix ans plus tôt au congrès d’Epinay, en 1971, aussi nommé congrès de l’unité des socialistes. “ La victoire du 10 mai 1981 a coloré dans le souvenir toute la décennie passée depuis la refondation du Parti socialiste lors du congrès d’Épinay”, souligne l’historien Alain Bergounioux. Cela a aussi marché car les socialistes ont cherché à unir la gauche en considérant les communistes comme des partenaires, période où le Parti Communiste était fort, afin de construire un mouvement commun, de rupture. Pendant des années, le programme s’est articulé, le travail a été mené dans le temps et dans la recherche d’unité, avec comme aboutissement la victoire retentissante de 1981.
Fin de l’hégémonie du PS
En position de force au moment de l’élection de Mitterrand, et toujours considéré comme le parti hégémonique (= dominant) à gauche jusqu’au quinquennat de François Hollande, le PS est aujourd’hui en grande difficulté.

En plus d’avoir manifestement fait énormément de mal à l’ensemble de la gauche, Hollande a grandement participé à la descente aux enfers que connaît le PS. Entre les 6% des voix récoltés par Benoît Hamon en 2017, la candidature de Hidalgo pour 2022, à laquelle personne ne croit vraiment, l’hégémonie s’inscrit clairement au passé.
D’un côté, cette fin de la puissance du PS, peut permettre à d’autres forces de cette famille politique, prônant un autre modèle de société, de se développer. D’un autre côté, la gauche subit encore aujourd’hui les conséquences du quinquennat Hollande.
Les cadres du parti, comme Olivier Faure, en sont conscients. Beaucoup de personnes ont voté Hollande, pour en finir avec la droite dure incarnée par Nicolas Sarkozy, et ces individus ont fait confiance aux paroles marquantes du candidat socialiste comme la célèbre : “mon ennemi c’est la finance”. Sur le plan économique, une politique de droite a clairement été menée. Sur le plan social, la Loi Travail a fait surgir un mouvement social important, qui a été très durement réprimé, par un pouvoir prétendument en place pour défendre les intérêts des travailleurs, des classes populaires. “
Le programme de François Hollande n’était pas du tout révolutionnaire, et même ce truc pas révolutionnaire, il ne l’a pas fait”
Cécile Duflot, ancienne Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, qui a notamment quitté le gouvernement de François Hollande en 2014.
Le confusionnisme engendré par le quinquennat Hollande a été terrible. Manuel Valls, figure marquante du quinquennat, représente parfaitement ce confusionnisme destructeur pour ceux qui prétendent incarner les valeurs de la gauche. Instaurer en tant que Premier ministre une personnalité aussi confuse dans son positionnement politique que Manuel Valls fut un message terrible. Concernant le confusionnisme, Manuel Valls, un temps doté de l’étiquette PS, est ensuite parti en Espagne poursuivre son parcours politique, où il a terminé en étant allié à l’extrême droite espagnole. Autre exemple, au moment de la primaire socialiste de 2017, Manuel Valls qui avait indiqué suivre assurément le candidat qui sortirait vainqueur, à savoir Benoît Hamon, n’a finalement pas soutenu ce dernier mais plutôt Emmanuel Macron (LREM). Surprenant, ou pas.

Désabusés par le monde politique et fatalistes quant à l’avenir, de plus en plus de citoyens s’éloignent des urnes, ils ne croient plus au système politique actuel, ne se sentant pas représentés.
Saturation du débat public
Au sein d’un débat public saturé par les idées réactionnaires, les discours sécuritaires, on constate une droitisation contrainte par l’émergence de Eric Zemmour à l’automne. Du côté des Républicains, elle s’est caractérisée par le vote Ciotti, arrivé deuxième du Congrès. Les discours décomplexés vis-à -vis de sujets comme la laïcité, l’insécurité, l’immigration, peuvent être dangereux, et masquer des thèmes pourtant centraux. Par exemple, la hausse du pouvoir d’achat, qui semble être la principale préoccupation de la population. De plus, les dirigeants politiques qui participent à ces dispositions, sont les mieux placés dans les sondages, outil qui est trop souvent commenté, analysé comme une science exacte, qui sature le débat public.
Dans ce contexte politico-médiatique, les candidats de gauche ont énormément de mal à imposer leurs idées, à placer comme enjeux centraux les thèmes qui sont chers à ce bord politique. Ainsi, il semble contre-productif pour les candidats et les militants qui sont encore pour beaucoup en pleine réflexion quant à leur choix du 1er tour, de passer du temps à parler d’une utopique union. Cette question, qui prend une place parfois majeure dans les débats et dans les entretiens entre journalistes et acteurs politiques, prend la place du débat d’idées, pourtant indispensable, surtout maintenant que la campagne est pleinement lancée.
Il est sans doute trop tard pour parler d’union. Et on peut considérer, pour une gauche qui n’a jamais été aussi divisée, que c’est dommage. A l’heure où les inégalités ont explosé durant la mandature d’Emmanuel Macron, où le dérèglement climatique bat son plein, et où la déviance entre les représentants du peuple, et la population, est extrêmement haute, la gauche a failli. Elle a failli bien avant la période que nous vivons actuellement. Elle n’a pas su, en cinq ans, alors qu’on a connu un mouvement social historique en 2018, une grève très marquante en 2019, se réunir afin de bâtir une opposition forte et radicale. Au lieu de ça, Mélenchon a décidé depuis longtemps de faire cavalier seul pour 2022, persuadé de pouvoir enfin rafler la mise, le PS n’a cessé de s’affaiblir, les Verts se sont inscrits comme un nouvel espoir, avec les bons scores obtenus lors des européennes en 2019, mais aussi en gagnant des mairies importantes, se focalisent depuis sur l’Elysée. Les disparités et les conflits de personnalités, sans oublier les divergences idéologiques ont eu raison d’une possible union des gauches. “ La gauche ne doit pas restaurer une unité paradigmatique, elle doit assumer toutes les questions dans leur pluralité, affirmer aussi bien les questions héritées du marxisme et les questions des nouveaux mouvements sociaux”, explique Ernesto Laclau dans La Raison populiste.
Ce qu’elle a été incapable de mesurer et de mettre en place, laissant sur le côté une grande partie de la population, dont les intérêts convergent avec les idées centrales de la gauche comme la réduction des inégalités, des meilleures conditions de travail pour les salariés, victimes d’un système d’exploitation, la lutte contre le dérèglement climatique, l’antiracisme, sans oublier l’ambition d’avoir plus de justice sociale et de justice fiscale.

Plus qu’une union à laquelle personne ne croit vraiment, en tout cas dans la forme telle qu’elle est présentée aujourd’hui, il est peut-être là, le revers principal de la gauche actuelle.
Une réponse à “Une union à Gauche est-elle vraiment possible ?”
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