Après l’Assemblée Nationale en fin d’année 2020, la semaine dernière le projet de loi Sécurité globale a été voté par le Sénat. Une loi qui fait polémique, amenant à plusieurs journées de mobilisations et de vives critiques de l’opposition mais aussi de syndicats de journalistes redoutant une mise en danger de la liberté de la presse. L’article 24 a beaucoup été évoqué, mais celui sur les drones pose aussi question quant au glissement de notre société vers une surveillance de masse.
Une surveillance globale
Le poids des mots est très important. D’autant plus au sein même de la sphère politique. Ainsi, le fait de nommer ce projet de loi Sécurité globale tend à faire comprendre que la sécurité des forces de l’ordre mais aussi de la population constituent les enjeux majeurs de cette nouvelle législation.
Pourtant, énormément de personnes ont été scandalisées par les aspects dissuasifs, répressifs et liberticides de cette loi. L’article 24 a longuement fait parler de lui, dans les médias notamment. Face aux critiques et aux fortes mobilisations, l’exécutif a annoncé que cet article allait être totalement réécrit. Ce dernier posait problème car il prévoyait de pénaliser la diffusion d’images de policiers si ces derniers constatent une “intention de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique”. Cette intention malveillante laisse un flou important et le libre-arbitre au policier sur place d’interpeller quelqu’un qui filme lors de manifestations ou d’interventions dites “musclées”.
La nécessité de cet article de loi me laisse perplexe quand on sait le nombre important de violences policières mises en lumière grâce aux vidéos amateurs. C’était particluèrement visible au moment du mouvement des Gilets Jaunes.
Dans le même temps, en plus de vouloir réduire la possibilité de filmer la police, l’article 22 de la loi prévoit d’étendre la surveillance massive et généralisée de la population par l’intermédiaire des drones. Problème, ces derniers sont déjà utilisés depuis plusieurs années par les forces de l’ordre, sur ordre des préfets dans le cadre de manifestations par exemple. Le Conseil d’Etat a suspendu leur utilisation, cette dernière étant tout simplement jugée comme illégale. Fait assez surréaliste, en temps d’état d’urgence sanitaire et donc de régime d’exception, certaines villes comme Nice, Paris, Montpellier ou encore Nantes ont décidé d’utiliser les drones afin de surveiller les rues lors du premier confinement.
Une mise en réalité de la série Black Mirror où des haut-parleurs robotiques diffusaient des messages de prévention en incitant les individus à rester chez-soi. Dans une société davantage connectée où la numérisation nous accompagne au quotidien, il n’est pas étonnant de voir nos gouvernants s’en servir. En effet, les caméras de ces engins peuvent identifier n’importe quel individu survolé.
Un questionnement par rapport aux libertés individuelles, au respect de la vie privée et à l’utilisation faite des données doit se faire.
« Ce que cherche avant tout l’Etat, c’est l’efficacité de la gestion des populations. Cette efficacité passe par une surveillance optimale des corps et des consciences, et se heurte aux libertés fondamentales”.
L’avocat Arié Alimi dans son ouvrage Le coup d’état d’urgence, surveillance répression et liberté
Certaines personnes pensent ne pas être concernées ou plutôt inquiétées par la surveillance de masse en affirmant n’avoir “rien à cacher”. Mais, Alexis De Tocqueville, philosophe, journaliste et homme politique français déclarait au XIXe siècle “c’est dans le renoncement à la liberté que se trouve le danger majeur pour la société démocratique”.
C’est inquiétant de se diriger vers une société panoptique, toute proportion gardée. Le panoptique est un modèle de prison circulaire imaginé par Jeremy Bentham où le gardien est au centre caché derrière des vitres fumées, il peut regarder et surtout surveiller les détenus sans qu’on puisse le voir. Ainsi, le modèle de surveillance généralisée de toute la population s’en rapproche. Cela revient à penser au modèle chinois avec le contrôle social de l’Etat quasiment total sur sa population, où des citoyens sont sans cesse dans la vigilance, dans une forme d’auto-censure se sachant surveillés. La crainte de sanctions pouvant êtres multiples et diverses conditionne chaque citoyen.
Il est impératif pour notre pays de s’éloigner d’un modèle de société qui se situe à l’encontre d’un certain nombre de principes fondateurs et essentiels de la démocratie comme la notion de Liberté, présente dans la devise de la République Française.

La problématique de l’illégalisme
Le soupçon est partout, tout le temps. Encore plus au cours de la crise sanitaire actuelle. Malheureusement, le décalage entre les Français et les représentants de l’Etat peut parfois devenir immense. C’était le cas en 2016 quand l’individu le plus condamné du pays fut le préfet de police de Paris. Il compte près de 135 condamnations pour entrave au droit d’asile.
Le problème concernant l’utilisation des drones, c’est le fait de s’affranchir des lois existantes pour mettre en place ses projets et constater par la suite l’effet de pratiques illégales afin de les rendre acceptables ultérieurement. Les enjeux derrière une technologie aussi poussée sont énormes pour l’ensemble de la population.
Ainsi, dans un Etat de droit, la transparence doit être au premier plan, d’une part envers les parlementaires et d’autre part envers le peuple français. De plus, quand on connaît les retombées importantes des révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden concernant l’utilisation, la récupération et le stock des données numériques, cela constitue un des dangers principaux du monde connecté dans lequel nous vivons.
Pour ces raisons, il est très dangereux d’introniser une telle nouveauté qui marque un basculement de nos sociétés en franchissant les limites de la légalité.
Toujours dans son livre, Arié Alimi déclare : “la stratégie de l’illégalisme est délibérée, elle a pour objectif de repousser les limites de l’admissibilité, de banaliser des pratiques illégales afin d’habituer l’opinion publique à son usage”.
Cet aspect volontaire et délibéré peut être confirmé par le fait qu’après la décision du conseil d’Etat de suspendre l’utilisation des drones, ces derniers ont continué à apparaître dans les airs. Ils deviennent les symboles du mépris dont font part, dans ce cas précis, nos gouvernants envers des décisions prononcées par les plus hautes juridictions du pays.
Autre crainte, celle de Martin Drago, juriste à la Quadrature du Net qui rejoint le propos de Arié Alimi puisqu’il redoute l’effet cliquet de ces pratiques puisque le retour en arrière est quasiment impossible d’où la volonté de légaliser l’utilisation des drones. Ce qui aurait sans doute été impossible il y a encore quelques années, devient acceptable pour une partie des acteurs politiques.
De son côté, Bénédicte Jeannerod, directrice France de l’ONG Human Rights Watch qui a pour mission de défendre les Droits de l’Homme évoque la peur légitime des populations face à des dangers comme le terrorisme ou le Coronavirus. Elle ajoute que :
“Les gouvernements ont tendance à utiliser cette peur et besoin de sécurité pour étendre toujours plus leur pouvoir, y compris au niveau de la surveillance… La pandémie ne doit pas servir de prétexte pour mettre en place une surveillance intrusive et omniprésente”.
Bénédicte Jeannerod
La loi sécurité globale n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre, et pour cause, entre la réécriture de l’article 24 et celui qui légifère et rend possible l’usage des drones dans certains cadres tel que le maintien de l’ordre. Ce texte intervient dans le cadre d’un État d’urgence sanitaire où la crise liée au COVID occupe tous les esprits.
L’investissement injecté dans l’acquisition de drones coûteux à hauteur de 4 millions d’euros en avril dernier, en pleine épidémie, relève d’un choix étonnant. Dans le même temps, le gouvernement a continué de supprimer des lits d’hospitalisation tout au long de cette cauchemardesque année 2020. L’hôpital paye fort le manque cruel d’investissements des différents gouvernements depuis une vingtaine d’années.