Nous le savons, depuis quelques années, et ce malgré les confinements, les jeunes entre 15 et 35 ans se désintéressent de plus en plus de la télévision. Et pour cause, la croissance exponentielle de l’utilisation du smartphone, entre autres, qui permet l’accès à de multiples plateformes vidéos comme Netflix, YouTube ou bien les réseaux sociaux. C’est ainsi que les jeunes d’aujourd’hui se divertissent et s’informent avec notamment l’apparition de médias digitaux tels que Brut, Konbini, (yekaa?), Loopsider et bien d’autres. Comment expliquer ce désamour ? Décryptage.
Une télévision trop « ancienne »
Bien qu’elle soit toujours extrêmement regardée, la télévision attire de moins en moins les jeunes. En effet, pour celles et ceux qui ont entre 20 et 35 ans, la télévision n’est autre qu’un élément nostalgique de leur jeunesse : Les dessins animés – Foot2Rue pour certains, Totally Spies pour d’autres par exemple -, les séries – Malcolm, Ma Famille d’abord… – ou les émissions divertissantes telles que Fort Boyard, Intervilles, Le Juste Prix et bien d’autres. Mais aujourd’hui, les publicités, les télé-réalités à tout va ainsi que les émissions jugées « inintéressantes » ou à destination des plus vieux éloignent considérablement cette cible si précieuse.
Cependant, pour celles et ceux qui ont entre 10 et 20 ans, c’est plus complexe, il n’y a pas cette même nostalgie. Même si ces derniers ont, eux aussi, un jour où l’autre, été bercés par les dessins animés ou les émissions de divertissements, ils grandissent néanmoins avec un accessoire supplémentaire, que personne n’avait anticipé il y a vingt ans et qui permet d’accéder à un contenu bien différent. Nous parlons bien évidemment du smartphone. Et ce smartphone est l’ennemi numéro un de la télévision puisqu’il représente la cause principale de cet abandon chez les jeunes. Ce mini-écran de poche permet de visionner la télévision différemment, de n’importe où, à n’importe quel moment et grâce notamment aux plateformes de Replay qui connaissent un franc succès. Les émissions de télé-réalités sont, par exemple, énormément regardées par les 10-20 ans, mais principalement en Replay, sur tablette ou sur téléphone. Mais pour la majorité, la télévision n’est que très peu regardée, même sur smartphone, même en Replay ou autres.

Une télévision remplacée par les nouveaux écrans
La plateforme YouTube est, sans aucun doute, celle qui cause le plus de tort à la télévision. Nous la connaissons, cette plateforme américaine permet le visionnage – ou le téléchargement – d’une multitudes de vidéos, au contenu extrêmement varié. Elle permet également une interaction directe avec les utilisateurs (par l’intermédiaires des commentaires, des « likes » ou des « partages ») ce dont ne peut pas jouir la « Tv ».
YouTube est une page web de référence pour des millions d’utilisateurs. Le temps de visionnage est colossal. Et ce n’est pas pour autant que YouTube est illégitime face à la télévision, bien au contraire ! Nous pouvons retrouver des enquêtes journalistiques réalisées par des professionnels – Le Monde, Courrier International, Brut –, des interviews de professionnels en tout genres – Médecine, Avocat, Sports, Politiques, Musique… – qui permettent de s’informer en profondeur. Ces vidéos sont énormément visionnées et ont cette particularité d’être plus naturelles. Les jeunes, en majorité, disent stop aux mises en scènes et aux tournages répétés, enregistrés et calculés par les studios de télévisions ! Et les nouveaux médias digitaux l’ont bien saisis : Brut et Loopsider par exemple. Le but de ces médias présents sur les réseaux sociaux est de raconter l’actualité telle qu’elle est, sous forme de vidéos pas très longue pour gagner du temps, de donner de l’authenticité aux mini-reportages – réalisés parfois à l’aide d’un simple téléphone, au plus proche des individus – et de rendre les témoignages bien plus naturels, sans artifice ni censure…
Du journalisme 2.0 qui peut notamment expliquer le succès de la chaîne d’Hugo Travers (Hugo Décrypte). Quotidiennement, sur sa chaîne YouTube, l’ancien étudiant de SciencesPo Paris informe sa communauté de 1,14 Million d’abonnés en s’appuyant sur des sources fiables mais, surtout, en développant les sujets d’une manière accessible. Son langage, sa personnalité humble, son faible montage digital – les vidéos sont presque publiées en instantanées – plaisent au jeune public. Contrairement aux jugements récurrents, parfois injustes, que peuvent subir les médias populaires, Hugo Décrypte ne manipule pas son auditoire, ne l’oriente pas et n’appartient à aucune grande entreprise. Il est indépendant et n’est pas à la recherche du buzz à l’instar, parfois, des chaînes d’information en continu à la recherche de sensationnel.
A noter qu’en tant que jeune youtubeur, Hugo connaît les codes de la plateforme et sait ce que son jeune public attend de l’information : qu’elle soit claire, rapide, vérifiée et comprise. Ce qu’ignore peut être certaines grandes chaînes de télévision.
Pour ce qui est du divertissement, les émissions de télévision ont, malheureusement, elles aussi, été remplacées par YouTube à une vitesse folle. Des chaînes très connues comme celles de McFly & Carlito, Pop Corn ou la célèbre émission Rap Jeu de Red Bull en sont les preuves mais aussi les différents Tutoriels ou conseils multiples que l’on peut retrouver sur la plateforme. En définitive, tout ce que l’on peut avoir à la télévision figure, de nos jours, sur YouTube, avec des thématiques qui parlent davantage aux jeunes.
Néanmoins, nous pouvons retrouver sur YouTube des codes qui s’inspirent de la télévision : l’émission « Le QG », la chaîne « Le Média » ou encore « Thinkerview », toutes ces chaînes YouTube pourraient, sans aucun doute, avoir leur place à la télévision mais le choix de rester sur YouTube est volontaire et peut être très judicieux de leur part.
Mais dans le sens inverse, les chaînes de télévision s’invitent sur YouTube de façon exponentielle et tentent de s’imposer en respectant les codes du digital. Et pour certaines… ça marche ! La chaîne Arte, entre autres, – pourtant jadis très peu regardée par les jeunes – connaît un immense succès sur YouTube et les reportages passionnent et instruisent de plus en plus la jeunesse. Certaines chaînes comme France 24 ou Franceinfo sont diffusées en continu sur YouTube.
En ce qui concerne les séries, les dessins animés ou les films, la plupart sont accessibles sur les plateformes payantes Netflix, Amazon Prime ou Disney+. Des plateformes extrêmement regardées par les 10-25 ans. Ce qui explique la chute libre des séries télévisées.
L’avènement des plateformes de vidéos à la demande et leur succès transforment les habitudes audiovisuelles des Français qui privilégient de plus en plus une consommation multimodale et individualisée de leurs programmes. Les 18-24 ans passent plus de temps à visionner sur internet des vidéos ou des films que devant un poste de télévision»
Le Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des conditions de vie
La consommation individuelle de vidéos connaît donc un succès grandissant avec l’augmentation de la performance des terminaux, mais surtout des débits internet. L’arrivée de la 5G va davantage accélérer le phénomène dans les prochaines années.
Mais la télévision tente malgré tout d’innover
Peu à peu, la télévision cherche à séduire les jeunes comme nous l’avons évoqué précédemment. Elle essaie d’être sur tous les fronts, de se rendre visible sur smartphone, en respectant les formats courts des réseaux sociaux et celui de YouTube.
C’est le cas notamment du nouveau « chouchou » des internautes de Twitch, le journaliste Samuel Etienne, régulièrement placé dans le Top 3 Monde des Stream. Depuis peu, l’objectif de l’animateur de Questions pour un Champion et de la Matinale sur Franceinfo est de permettre à la nouvelle génération d’obtenir des réponses et des éclaircissements sur l’actualité.
Tous les matins entre 9h30 et 11h, Samuel Etienne « anime » donc une émission, face caméra, en direct de chez lui : « La Matinée Est Tienne ». Dans cette émission, ou plutôt dans cette vidéo en direct, il feuillette les grandes lignes et les articles les plus intéressants de la presse du jour. Une aubaine pour les jeunes qui ne trouvent pas forcément le temps ou qui n’ont pas la patience de se plonger dans les journaux. Ici, tout est expliqué, dans une ambiance décontractée, bienveillante et surtout… avec une interaction très différente de la télévision. Il prend le temps de sélectionner les questions, les remarques pertinentes de ses internautes et il apprend même de ces derniers lorsqu’il a un problème technique qu’il ne maîtrise pas. En bref, il y a un véritable échange humain entre journaliste et public, une vraie nouveauté pour les jeunes régulièrement mis de côté.
J’ai conscience que je m’adresse à un public particulier. J’y suis allé, après plusieurs mois de réflexion, car j’ai senti qu’on était sur un truc important pour créer un pont générationnel. J’ai le sentiment que ce sont plutôt des jeunes, qu’ils ont entre 15 et 35 ou 40 ans. »
Samuel Etienne. Propos recueillis par Le Monde
Sur Twitch, il n’y a pas de cadre. L’autre fois j’ai parlé pendant une heure et demie de sujets comme les vaccins, les risques du Covid-19 au réveillon pour les personnes âgées… Mais tout en parlant du gagnant de l’Euro Millions, ou en montrant un magazine sur les chats. C’est ce mélange-là qui, je pense, crée de l’attention chez les plus jeunes. »
« L’apprenti-streamer », comme il aime se surnommer, crée ce qui pourrait être une passerelle nouvelle pour la télévision vis-à-vis des jeunes. Son employeur, France Télévisions a d’ailleurs très récemment lancé sa chaîne Twitch afin d’y réaliser des émissions interactives et informatives – sous forme de Questions / Réponses – et tenter de répondre aux interrogations récurrentes des plus jeunes concernant la crise sanitaire.
Les jeunes expriment donc un besoin d’information vérifiée et de lutte contre les fausses nouvelles – les fameuses fake news de plus en plus répandues – . L’investigation et le décryptage de l’actualité étant deux actions prioritaires à leurs yeux, bien que certains médias semblent parfois l’oublier. En terme de culture et de découverte, les sciences et l’écologie sont parmi les priorités phares du public jeune. En ce qui concerne la fiction, ce public demande une plus grande diversité, notamment pour les séries TV avec des personnages issus de toutes les diversités. Enfin, pour ce qui touche au divertissement, ils semblent avoir envie d’inattendu, de surprises. Ils en appellent à une télévision qui les surprend davantage et qui leur ressemble, qui leur parle davantage. Et peut-être que l’arrivée des journalistes, des médias sur Twitch, sur les réseaux sociaux ou sur différentes plateformes à destination, principalement, des jeunes seraient une manière de sauver ce déclin pour les entreprises télévisuelles mais pour ce qui est de la télévision en elle même… ce n’est pas gagné !